Nastassja Martin est anthropologue, diplômée de l’École des hautes études en sciences sociales, spécialiste des populations arctiques. Elle est l’auteure de Les Âmes sauvages ; Face à l’Occident, la résistance d’un peuple d’Alaska (La Découverte, 2016) et du récit Croire aux fauves (Verticales, 2019). Son ouvrage, À l’est des rêves. Réponse even à la crise systémique, paraitra aux éditions La Découverte en septembre 2022. À travers le récit de sa rencontre au Kamtchatka russe avec un clan familial du peuple even, reparti vivre en forêt pour renouer avec les êtres qui la peuplent et pour regagner en autonomie, Nastassja Martin poursuit la mise en récits de la « catastrophe écologique » et nous livre une anthropologie des réponses autochtones du Grand Nord face au délabrement du monde entrainé par la modernité productiviste.
À propos de À l’est des rêves
Nastassja Martin a quitté l’Alaska et le peuple des Gwich’in ; elle a franchi le détroit de Béring pour se rendre au Kamtchatka russe, dans le village d’Esso, où ont été rassemblés la plupart des Even, prisonniers d’une économie boiteuse, d’un village ruiné sans avoir jamais été florissant. Esso, un ancien kolkhoze en passe d’être transformé en plateforme touristique (où les traditions even sont réduites au folklore), illustre la volonté des gouvernements russe comme américain de mettre les peuples indigènes en position d’acteurs volontaires de leur intégration et/ou soumission, de gardiens primitifs de la wilderness ou d’ambassadeurs éclairés et coopérants d’une modernité avide de ressources, alors même que la crise – due à l’exploitation à outrance de ces ressources et au réchauffement climatique – disloque tout.
On raconte pourtant que dès 1989, au moment de la chute de l’Union soviétique, un clan familial aurait décidé de repartir en forêt et d’échapper aux radars étatiques. Quand elle a eu confirmation de l’installation de Daria et de ses enfants à Tvaïan, en pleine forêt, Nastassja Martin est partie à leur recherche. Ainsi a commencé un voyage impossible pour tenter de comprendre comment un petit collectif contaminé, exterminé, spolié puis asservi par les colons avant d’être oublié par la grande histoire s’est saisi de la crise systémique pour regagner son autonomie. Comment croire à la forêt quand tout s’effondre autour ? Comment revenir au temps où les animaux et les humains parlaient la même langue sans le secours des shamans, éliminés par le processus colonial ? Il fallait rendre possible le retour des rêves performatifs et réinventer un mode de vie impliquant une relation concrète et quotidienne aux êtres qui peuplent la forêt. Nastassja Martin fait le récit de cette rencontre qui dure depuis sept ans.
Ce n’est pourtant pas une « belle histoire » qu’elle raconte. Comment faire sans fusils ou sans essence alors même que les ressources ne cessent de se faire plus rares ? Comment se procurer des biens indispensables à la survie alors que le territoire se vide, les élans sont décimés et le monde part en lambeaux ? « Les motifs de l’économie capitaliste n’ont pas tardé à venir jusqu’au fonds de leurs bois… » Devront-ils, eux aussi, finir par vendre tout ce qui a encore un prix, ici ?