Aujourd’hui, la question spatiale n’est pas mobilisée en tant que
telle dans les luttes féministes alors qu’elle permet de se faire une idée
générale des injustices et inégalités que subissent les femmes. Pourtant, la
généralisation de l’approche spatiale apporterait un nouveau regard sur
les phénomènes d’aliénation, de soumission et de domination. Il existe un
outil pratique de la géographie qui permet de montrer et de comprendre
notre rapport à l’espace : la cartographie. En tant qu’image spéculaire du
monde, elle permet de lire les relations que nous entretenons dans et avec
l’espace. Or elle a toujours été réalisée, employée et instrumentalisée par
les pouvoirs dominants, qui sont masculins. La carte dit et fait le monde du
point de vue et à l’usage des hommes seulement.
La contre-cartographie s’emploie, au contraire, à dénoncer les situations
d’inégalité et d’injustice sociale que subissent les groupes subalternes. Elle
permet de comprendre la façon dont les groupes dominants leurs imposent
un usage particulier et restreint de l’espace, usage qui conditionne leur
présence au monde. En utilisant le pouvoir performatif des cartes, elle
contredit donc le discours convenu sur le monde.
L’ouvrage, richement illustré, est construit en quatre parties. La
première est consacrée aux manifestations objectives du rapport que les
femmes entretiennent avec l’espace, notamment en Occident. Elle propose
un état des faits et lieux de la façon dont elles s’approprient ou non l’espace
en fonction des injonctions et normes sociales (représentations, usages,
mobilités). La deuxième partie s’intéresse au rapport symbolique à l’espace
genré et au discours normatif et performatif masculin qui le produit. La
troisième partie aborde la question de l’espace en tant qu’enjeu dans les
luttes féministes. Ainsi la préoccupation du corps de la quatrième vague
féministe peut être judicieusement complétée par l’approche spatiale. Dans
la quatrième partie, l’autrice aborde la question cartographique et montre
ce qu’a apporté le « tournant spatial » à la recherche sur nos représentations
du monde depuis les années 1970. La contre-cartographie va permettre de
déconstruire le discours spatial dominant et de soutenir une démarche
d’émancipation.