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Hélène Dumas est historienne, chargée de recherche au CNRS. Ses travaux portent sur l’histoire du génocide des Tutsi rwandais. Privilégiant le terrain, elle mène une enquête historique au plus près de la langue, des paysages et des archives de la dévastation. Après une analyse micro-locale des mécanismes d’investissement dans la violence reposant sur l’étude des procès gacaca, elle s’intéresse désormais à l’histoire des victimes et des survivants du génocide. L’attention portée à la parole des rescapés a guidé l’intérêt pour un corpus de récits de jeunes orphelin.e.s, à partir duquel se dessinent les contours d’un étau meurtrier, incarné par une série d’acteurs investis dans l’exécution du génocide à toutes les échelles du pouvoir d’État comme à celles des voisinages. Observée depuis les subjectivités survivantes, l’irradiation puissante de l’événement s’éprouve dans un rapport au temps subvertissant les repères calendaires. Un regard sur la tragédie posé en commun sur le cas arménien et la Shoah. Elle a publié : Le génocide au village (Seuil, 2014) et Sans ciel ni terre (La Découverte, 2020).

Bibliographie

Sans ciel ni terre

La Découverte, 2020

Dans l'amas des archives de la principale institution chargée de l'histoire et de la mémoire du génocide au Rwanda, plusieurs liasses de fragiles cahiers d'écoliers renfermaient dans le silence de la poussière accumulée les récits d'une centaine d'enfants survivants. Rédigés en 2006 à l'initiative d'une association rwandaise de rescapés, dans une perspective testimoniale et de catharsis psychologique, ces témoignages d'enfants, devenus entre-temps des jeunes hommes et des jeunes femmes, racontent en trois scansions chronologiques souvent subverties ce que fut leur expérience du génocide, de la " vie d'avant " puis de la " vie d'après ". Leurs mots, le cruel réalisme des scènes décrites, la puissance des affects exprimés livrent une entrée incomparable dans les subjectivités survivantes et permettent, aussi, d'investir le discours et la gestuelle meurtrière de ceux qui éradiquèrent à jamais leur monde de l'enfance.
Loin des postulats abstraits sur l'" indicible ", ce livre propose une réflexion sur les conditions rendant audibles les récits terribles d'une telle expérience de déréliction au crépuscule de notre tragique XXe siècle.

Le génocide au village

Seuil, 2014

Fruit d’une enquête d’une dizaine d’années dans une commune du Rwanda, cette histoire « à la loupe » reconstitue, à travers ses lieux, ses acteurs et ses rescapés, l’exécution à l’échelle locale du dernier génocide du XXe siècle, concentré sur quelques mois (avril-mi-juillet 1994), et révèle la très grande proximité géographique, sociale, familiale des bourreaux et de leurs victimes. Nourri des témoignages aux procès, ceux des survivants, des tueurs et des témoins, mais aussi de déambulations sur les lieux de l’extermination, le récit met en lumière les mécanismes de ces massacres de proximité et la créativité meurtrière des bourreaux qui ont assuré la redoutable efficacité du génocide des Tutsi. Il éclaire l’ampleur de la participation populaire, ainsi que le rôle des imaginaires de guerre défensive et d’animalisation des victimes qui ont animé les tueurs.
Ce texte est aussi l’histoire de la confrontation d’un chercheur à la violence inouïe d’une parole et de la commotion produite par les traces physiques de l’extermination. À ce titre, il invite à une réflexion sur les manières de faire l’histoire d’un événement dont tant de dimensions demeurent inédites au regard des autres configurations de violence extrême.

Participations à La Manufacture d'idées

  • 22 août 2024

    Rwanda : raconter l’indicible