Vanessa Manceron est anthropologue, chercheur au CNRS. Ses recherches portent sur les rapports à la nature en France et en Angleterre. Ses principaux axes de travail concernent les conflits environnementaux, les menaces sanitaires et écologiques, la cause animale, le droit de la nature. Elle a été rédactrice en chef de la revue Terrain. Anthropologie & Sciences humaines. Elle est actuellement engagée dans un projet de recherche sur la judiciarisation de la nature et tout particulièrement sur le trafic illégal des oiseaux chanteurs en Italie. Elle est l’auteure de : Une terre en partage. Liens et rivalités dans une société rurale (MSH, 2005) et Les veilleurs du vivant. Avec les naturalistes amateurs (Les Empêcheurs de penser en rond, août 2022).
À propos de Les veilleurs du vivant
Des femmes et des hommes cheminent dans les campagnes, aussi parfois dans les villes, pour observer les vivants et enregistrer leur présence sous la forme de listes destinées à l’élaboration d’atlas et d’inventaires. Ce sont des amateurs, et portent le nom paradoxal de « naturaliste ». Sans eux, la mise en visibilité de la disparition des espèces et l’idée même de Sixième extinction n’auraient pu voir le jour. Ils œuvrent inlassablement et la tâche est immense. Et pourtant, dans les arènes de l’écologie politique, on ne les entend pas ou peu. N’ont-ils donc que des noms de plantes et d’animaux à égrener, quand les militants occupent des Zones à Défendre, quand les philosophes forgent des récits de réconciliation et de considération, quand les anthropologues documentent des modalités alternatives de perception et de cohabitation avec le vivant et quand les historiens et sociologues des sciences dénoncent la grande coupure cartésienne ? Tout l’enjeu de cet ouvrage est de montrer qu’il n’en est rien, et que l’attention forcenée qu’ils portent au vivant est un rouage essentiel d’un rapport au monde en cours de recomposition.
C’est en cheminant aux côtés des naturalistes, en portant une attention exigeante à ce qu’ils disent et font, aux lieux qu’ils habitent, à leurs manières singulières de s’engager, de connaître et de se relier au vivant, qu’une chance est offerte de défaire les attendus et d’interroger autrement le régime moderne du rapport à la nature. S’il semble communément admis que l’art de lire la nature serait perdu sous le coup de l’urbanisation massive et en raison d’une ontologie moderne qui tient la nature à distance et à disposition, alors le régime d’attention empirique des naturalistes offre un contre-exemple que l’on se doit de penser. Ce sont les formes d’ambivalence que les vies de ces hommes et ces femmes expérimentent, au cœur même de la modernité, sans pour autant chercher à renverser l’ordre des choses, qui les rend si fascinants.
Déroutants, les naturalistes amateurs le sont à bien des égards et pour en prendre la pleine mesure, il faut se rendre dans les campagnes anglaises où l’histoire naturelle est vive, et n’est pas tenue pour une activité résiduelle et anachronique, au motif qu’elle serait devenue un loisir plus qu’une contribution à la connaissance. On assiste en effet outre-manche à une remarquable fécondité de ces marges, assortie d’un jeu collaboratif toujours renouvelé entre scientifiques, amateurs, professionnels de la conservation, militants de la protection et adhérents des Trusts qui se comptent par milliers.
Ce livre est construit comme un récit en plongée progressive, à partir de campagnes peuplées de citadins où l’ensemble du territoire est socialisé. Ici, la nature n’est pas le terroir, ni le sauvage, mais un milieu qui doit sa raison