Lorsque nous avons conçu La Manufacture d’idées il y a dix ans, nous étions loin d’imaginer ses « lignes de devenir », où cette aventure nous mènerait. Notre ambition était alors de créer une manifestation littéraire dédiée aux sciences humaines et sociales et aux débats d’idées en milieu rural, de proposer un espace de dialogue et de réflexion qui permette de faire un pas de côté par rapport à l’actualité, de prendre le pouls du monde.

Notre aspiration à interroger les problématiques et les transformations majeures de notre temps nous a conduit naturellement à axer le festival sur les questions écologiques – les relations entre les humains et les non humains, les alternatives pour penser et habiter le monde autrement – sans se départir de la tension avec les questions sociales. La Manufacture d’idées s’est ainsi imposée au fil des années comme un rendez-vous de référence sur le sujet au niveau national.

Pour notre 10e édition, nous avons choisi d’aborder le thème des lignes. Il s’agira de continuer à tracer nos « lignes d’engagement », pour reprendre l’expression pleine d’à-propos du philosophe Mathieu Potte-Bonneville, de poursuivre notre réflexion sur les formes de vie et notre place dans le monde dans le contexte des métamorphoses environnementales et des bouleversements actuels.

Selon l’anthropologue Tim Ingold, auteur d’un ouvrage passionnant en la matière[1] qui nous accompagnera tout au long de cette édition anniversaire, « l’écologie est l’étude de la vie des lignes ». Nous observerons comment différentes compositions du monde se dessinent à travers le maillage des fils tissés par les vivants, et comment des pratiques de résistance s’exercent au sein de cette écologie des lignes et des tissages.

Nous nous interrogerons également sur les lignes d’horizon et le renouvellement des imaginaires. Comment en effet raconter autre chose que la perte du monde à une époque marquée par la précarité, les catastrophes, la dégradation des milieux de vie par l’extraction des ressources, le réchauffement climatique ? Comme le souligne l’écrivain Amitav Ghosh, « l’Anthropocène présente un défi non seulement pour les arts et les sciences humaines, mais aussi pour notre conception et au-delà pour la culture contemporaine en général. »

Ce défi, la 10e Manufacture d’idées entend bien le relever. En élargissant le champ des savoirs et en entrecroisant les sciences humaines, les arts, la littérature, les sciences de la Terre. Mais aussi en montrant comment dans les interstices et les frontières se réinventent des pratiques et se constituent des puissances d’agir (celles par exemple de l’ensemble Orpheus XXI, créé par Jordi Savall, que nous aurons le privilège d’accueillir), comment s’y déploient des lignes de possibles.

Emmanuel Favre
Directeur du festival

[1] Une brève histoire des lignes (Zones Sensibles, 2011)