La fonction de l’artiste est ainsi fort claire : il doit ouvrir un atelier, et y prendre en réparation le monde, par fragments, comme il lui vient.
Francis Ponge

La 12e Manufacture d’idées vous invite à explorer le thème de l’attention. Cette proposition part d’un constat : les effets du changement climatique, les extinctions massives dont la liste grossit chaque jour, les vacillements démocratiques et les crises sociales et politiques que traversent nos sociétés, révèlent la fragilité de l’écosystème Terre et de l’organisation humaine du monde. Face à ces multiples défis, il s’agit non seulement de nous demander à quoi nous devons faire attention, mais ce que nous pouvons faire de notre attention ?

Nous tenterons de répondre à cette double interrogation en alliant les savoirs et les pratiques de chercheurs, philosophes, historiens, sociologues, anthropologues, spécialistes de l’environnement aux travaux d’artistes de tous domaines (plasticiens, écrivains, danseurs, musiciens, cinéastes).

Des luttes politiques, postcoloniales, « natureculturelles » aux conditions d’habitabilité, de la santé des paysages à l’étude de la maintenance et de l’entretien des objets, des histoires de microbes aux relations interspécifiques, de l’hybridation des savoirs experts et profanes à la réappropriation de milieux de vies dignes d’être vécues, notamment dans les milieux du soin, il s’agira de mieux saisir comment écologie et attention correspondent au travers de ces expériences et réflexions.

Une diversité d’approches, de matériaux, de narrations, qui compose la texture du monde au sein de laquelle, pour reprendre les mots de la philosophe Donna Haraway, invitée d’honneur de cette édition : « nous nous relions, nous construisons des connaissances, pensons, faisons-monde et racontons des histoires avec et à travers d’autres histoires, d’autres mondes, d’autres connaissances, d’autres pensées, d’autres désirs. »

Donna Haraway nous incite à penser et agir depuis les situations troublées et inextricables où nous nous trouvons, de nous laisser « habiter par le trouble » pour faire advenir des réponses nouvelles, différentes, puissantes. Cela implique de tisser de nouvelles relations, d’inventer de nouvelles formes d’attention, mais aussi de revoir nos catégories éthiques ou politiques, d’engager un décentrement, de solliciter d’autres temporalités.

C’est ce que nous propose Dipesh Chakrabarty, que nous aurons également le privilège d’accueillir cet été. Dans son essai majeur sur les manières de penser l’histoire après le changement climatique, l’historien indien, pour qui nous sommes entrés dans « l’âge planétaire », articule les temps géologiques et sociaux pour éclairer les bouleversements écologiques en cours, nous obligeant à reconsidérer notre rapport au temps et notre condition humaine.

Pendant quelques jours, nous porterons notre attention sur ces questions, en essayant de faire émerger de nouveaux récits, de nouvelles perspectives, pour « prendre en réparation le monde ».

Emmanuel Favre
Directeur du festival