© Hillary Fey Cronon

À l’occasion de la parution française de son livre sur l’histoire de Chicago, considéré internationalement comme le meilleur livre d’histoire écologique jamais écrit, rencontre exceptionnelle avec l’historien William Cronon.

 

« Le paysage américain a connu des transformations qui annonçaient à bien des égards les problèmes environnementaux auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui » écrit William Cronon dans le prologue de Chicago, Métropole de la nature. Mêlant avec brio l’histoire, l’anthropologie, l’économie, l’écologie, l’industrie, cet ouvrage de référence – qui aura demandé 15 ans de travail de recherche et d’écriture – nous conte l’histoire fulgurante de Chicago et de ses alentours, de sa naissance dans un marécage boueux jusqu’à la « métropole », capitale du Grand Ouest américain qu’elle est devenue. Il s’agit donc de l’histoire d’une ville, mais aussi de celle de la « nature » qu’elle a du dominer pour exister, cette « nature » ayant été (et étant toujours) à l’origine de sa richesse – tels les marchés de matières premières.
Un livre fondamental, qui nous aide à mieux comprendre les liens unissant écologie, économie et anthropologie.

 

William Cronon, né en 1954, enseigne l’histoire, la géographie et les études environnementales à l’université du Wisconsin, Madison (États-Unis). Ses recherches portent sur l’histoire des interactions humaines avec le monde naturel. Outre son grande œuvre, La métropole de la nature (qui paraitra en français au début de l’année 2020 aux éditions Zones Sensibles), il est l’auteur de Nature et récits. Essais d’histoire environnementale (Éditions Dehors, 2016).

 

Extrait

Mais je n’étais pas au bout de ma perplexité. Dans mon impatience de rejeter Chicago et de faire miennes les campagnes qui l’entouraient, j’étais parti de l’idée qu’il y avait peu de risque de les confondre. Je n’avais qu’à regarder n’importe quelle carte du Middle West pour être rassuré à chaque fois par les frontières qui séparaient nettement la ville de la campagne et qui m’avaient fait si forte impression quand j’étais enfant. Et pourtant, dès que j’essayais de remonter dans l’histoire de ces frontières, elles commençaient à devenir floues. Sans doute la ville et la campagne constituaient-elles des lieux distincts, mais ils n’étaient certainement pas séparés. Chicago s’était «urbanisée», multipliant ses cheminées d’usines qui crachaient leurs fumées et ses rues surpeuplées, au moment même où les territoires environnants se « ruralisaient », cessant de produire de l’herbe et des merles à ailes rouges à épaulettes pour fournir du blé, du maïs et des porcs. Au cours de la même décennie où les marchands et les ouvriers de Chicago bâtissaient leurs entrepôts et leurs usines, les paysans labouraient le sol de la prairie et les bûcherons coupaient les grands pins des forêts du nord. La ville et la campagne partageaient un passé commun et s’étaient fondamentalement modelées mutuellement. Aucune des deux n’était aussi «naturelle» ou «artificielle» qu’elle paraissait. Cette découverte me perturbait. Plus j’avançais, plus je me demandais s’il y avait une justification, soit historique soit environnementale, à les traiter comme des lieux séparées. Est-ce que je ne me racontais des histoires en pensant que je pouvais choisir entre elles ? Je commençais à voir que le sens du mot « ville » dépendait de son rapport contrastif au mot « campagne » et réciproquement…