Alors que les effets de l’activité humaine sur les milieux semblent toujours plus néfastes, que le sol, l’air et l’eau sont altérés, que la précarité semble devenue la condition de notre temps, il nous faut inventer de nouvelles alternatives, mais aussi construire de nouveaux récits, produire de nouveaux imaginaires, pour raconter autrement comment nous en sommes arrivés là et penser ce monde abîmé dans lequel nous vivons.

 

C’est ce que la 8e Manufacture d’idées vous propose avec le thème « Formes de vie ». À travers différentes approches, il s’agira de déployer les aspects que peut revêtir cette notion, les exigences qu’elle porte, les possibilités de récits qu’elle offre. Questionner les formes de vie nécessite aujourd’hui de prendre en considération celles des vivants non-humains « qui sont parmi nous mais par eux-mêmes », comme le souligne le philosophe Baptiste Morizot. En évoquant les relations et les tissages avec les autres vivants, les façons de cohabiter, nous tenterons d’envisager un traitement de la Terre moins destructeur et moins anthropocentré.

 

Il faudrait plutôt poser au départ une sorte d’humilité principielle : l’homme, commençant par respecter toutes les formes de vie en dehors de la sienne, se mettrait à l’abri du risque de ne pas respecter toutes les formes de vie au sein de l’humanité même.

Claude Lévi-Strauss

 

L’instabilité actuelle nous engage en effet quant aux modes de vie à adopter ou à récuser, aux choix de société à opérer pour « continuer à exister dans un monde habitable », ainsi que nous le rappelle Philippe Descola. Nous interrogerons notre modernité en remontant aux fondements de la pensée économique et en faisant un détour par « l’histoire profonde » avec James C. Scott. Nous verrons notamment avec lui le rôle que la domestication des plantes et des animaux, puis l’agriculture, ont joué dans la formation des premiers États.

 

Cette tension entre le politique et l’économique, entre l’écologique et le social, caractérise le livre d’Anna Tsing, Le champignon de la fin du monde. En s’intéressant aux « ruines du capitalisme » – ces espaces abandonnés, ces paysages naturels dévastés dans lesquels « des espèces vivent parfois ensemble sans harmonie et sans opération de conquête » – Anna Tsing pose la question d’une survie collaborative entre des êtres précarisés et ouvre un vaste champ d’exploration à la fois anthropologique, philosophique et littéraire.

 

Ce sont ces pratiques et ces alliances nouvelles, ces mondes entremêlés, ces métamorphoses pour s’adapter à des conditions de vies précaires et à des temps incertains, que nous aborderons durant ce 8e rendez-vous. Nous le ferons sans nier l’évidence, mais sans non plus céder au catastrophisme. Simplement en éveillant notre curiosité, et en pensant aux façons de nous réapproprier notre présent, pour esquisser des futurs possibles.

Emmanuel FAVRE
Directeur du Festival