© Olivier Ralet

Isabelle Stengers est philosophe, spécialiste de l’histoire et de la philosophie des sciences. Elle est professeure émérite à l’Université libre de Bruxelles. Inspirée par la pensée de Félix Guattari et de Donna Haraway, elle développe une conception constructiviste du savoir scientifique et une écologie des pratiques attentives aux phénomènes d’interdépendance dans le monde vivant. Elle est membre du comité d’orientation de la revue d’écologie politique, Cosmopolitiques. En 1990, elle a créé avec Philippe Pignarre la maison d’édition Les Empêcheurs de penser en rond. Elle a publié aux éditions La Découverte : La sorcellerie capitaliste : pratiques de désenvoûtement (La 2005),  Au temps des catastrophes. Résister à la barbarie qui vient (2008), Réactiver le sens commun. Lecture de Whitehead en temps de débâcle (2020), Cosmopolitiques (2022). Elle a codirigé avec Didier Debaise l’ouvrage Au risque des effets. Une lutte armée contre la raison (Les liens qui libèrent, 2023).

 

Présentation de Réactiver le sens commun :

Opposer les scientifiques à un « public prêt à croire n’importe quoi » – et qu’il faut maintenir à distance – est un désastre politique. « Ceux qui savent » deviennent les bergers d’un troupeau tenu pour foncièrement irrationnel. Aujourd’hui, une partie du troupeau semble avoir bel et bien perdu le sens commun, mais n’est-ce pas parce qu’il a été humilié, poussé à faire cause commune avec ce qui affole leurs bergers ? Quant aux autres, indociles et rebelles, qui s’activent à faire germer d’autres mondes possibles, ils sont traités en ennemis. Si la science est une « aventure » – selon la formule du philosophe Whitehead –, ce désastre est aussi scientifique car les scientifiques ont besoin d’un milieu qui rumine (« oui… mais quand même ») ou résiste et objecte. Quand le sens commun devient l’ennemi, c’est le monde qui s’appauvrit, c’est l’imagination qui disparaît. Là pourrait être le rôle de la philosophie : souder le sens commun à l’imagination, le réactiver, civiliser une science qui confond ses réussites avec l’accomplissement du destin humain.
Depuis Whitehead le monde a changé, la débâcle a succédé au déclin qui, selon lui, caractérisait « notre » civilisation. Il faut apprendre à vivre sans la sécurité de nos démonstrations, consentir à un monde devenu problématique, où aucune autorité n’a le pouvoir d’arbitrer, mais où il s’agit d’apprendre à faire sens en commun.